Rentrés depuis presque 4 ans après 13 mois sur la route, où nous avons expérimenté un univers à l'opposé de notre quotidien... Actuellement en pleine période de confinement... Le moment idéal pour répondre à cette question que LaVoyageothèque m'a posé : quels sont les changements que le (long) voyage a amené dans votre vie ?
Pour certains, le changement est radical et l’Après se confond avec un Pendant qui ne se termine pas. Pour d’autres, cela s’exprime par petites touches, quelques adaptations par-ci par-là de notre mode de vie, de notre regard sur la vie et la société, et sur la manière dont on appréhende cette dernière. Dans tous les cas, il y a des bénéfices secondaires et très certainement aussi, des dommages collatéraux.
C’est d’ailleurs une des premières questions que l’on nous pose, Avant, concernant le Pendant : mais comment aller vous faire pour votre travail ? Le travail… au cœur de notre mode de vie. Tout du moins, dans le mode de vie d’Avant, la plupart du temps. Parce que Pendant, on apprend à vivre autrement, on se remet en question… Et ça change quoi, Après ?
Pour ma femme, pas grand-chose, elle a repris avec plaisir son travail d’ortho dans une école pour enfants sourds et dysphasiques, avec plus ou moins les mêmes problèmes qu’avant, et les mêmes joies du quotidien. Mais certainement avec une expérience, un dynamisme et une capacité à prendre du recul renouvelés.
Pour mes enfants, au moins deux sur trois ont pris plaisir à retrouver le chemin de l’école classique et leurs anciens camarades. La 3ème, la plus grande, s’est adaptée, y trouvant des avantages qu’elle n’avait pas en voyage, et en faisant abstraction de ceux perdus.
Et moi ? Au début, je suis revenu avec le plein d’énergie, et plein d’envies. Six mois plus tard, je faisais un premier bilan, dans un article pas très fun ‘Pas trop dur le retour ? Quelques notes de blues et de schizophrénie...’ Et aujourd’hui, quasiment 4 ans après ? Presque toujours le même boulot, et beaucoup plus l’envie de faire autre chose, mais sans le courage ou l’inconscience pour passer à l’acte. Avec, malgré tout, quelques changements d’importance : de développeur / expert technique / chef de projet technique, je suis devenu Scrummaster. Un cadre de travail radicalement différent, où je me retrouve chef d’orchestre d’une méthodologie Agile qui fait la part belle à l’amélioration continue, à l’épanouissement de l’équipe, au plaisir dans le travail, au sens qu’on peut y mettre et y trouver. Passionnant au début, mais déjà un peu lassant en ce qui me concerne au bout de deux ans et demi. Le besoin de bouger en permanence, de faire bouger les lignes est là. Une fois le virus chopé, difficile de s’en passer.
Pourtant, paradoxalement, ils sont beaucoup moins visibles et moins évidents à décrire.
Le 1er d’entre eux, c’est pour moi le besoin permanent de profiter de la vie. En multipliant les activités ou au contraire en prenant le temps de procrastiner sans remord (pas si facile). C’est un état d’esprit, devenu vital.
Le second changement, c’est une capacité acquise, celle de savoir prendre du recul. Capacité que j’avais déjà avant, probablement liée à mes études en psycho, mais qui s’est trouvée exacerbée au retour. Prendre de la distance (faudrait-il l’expérimenter littéralement pour mieux le mettre en pratique métaphoriquement ?) et savoir relativiser.
Puis vient l’envie d’aller vers l’autre, de ‘partager’. A vivre à huis clos dans notre camping-car pendant 13 mois, chaque rencontre, avec les locaux ou d’autres voyageurs, se vivait intensément, comme une petite fête. Avec à chaque fois aussi le déchirement du départ, même lorsqu’on ne partageait sa vie que pour quelques heures. Une fois rentré, j’ai fortement éprouvé ce besoin d’aller vers l’autre, plutôt égoïstement d’ailleurs. C’était avant tout je crois pour évacuer mon trop plein de choses à raconter que pour écouter l’autre. J’étais, et je suis encore d’ailleurs, assez sélectif dans le choix de mes interlocuteurs, privilégiant les rencontres avec d’autres voyageurs ou personnes enclines à vivre des activités ‘hors du commun’, comme une sortie vélo à la Mad Jacques ou un meetup Agile Playground… Le besoin d’être compris, je pense, car le décalage avec ‘le reste du monde’, ceux qui n’ont pas quitté le chez-soi qu’on a retrouvé, est assez conséquent et douloureux. Avec le temps, ça se tasse. On se refait plus ou moins à sa vie de sédentaire, à mon regret d’ailleurs, car je le vis comme une manière de se rendormir… [Voir l’excellente chanson de Boulevard des Airs à ce sujet, ‘Si je m’endors mon amour’ qui résume bien cet état d’esprit]
Autre changement important, la relation familiale. Difficile à cerner, difficile à exprimer. Plus de temps passé avec les enfants, regard différent et réinventé vis-à-vis du conjoint… Mais surtout un nouveau fonctionnement, un peu comme l’émergence d’une conscience collective du noyau familial. Une nouvelle entité faite d’individualités qui se complètent et se comprennent, et font corps.
Il y a aussi notre relation aux aspects matériels qui a beaucoup changé. Ce changement, il s’amorce nécessairement Avant le départ. Quand on part pour plus d’un an, en itinérance, on fait le ménage. On se sépare des objets dont on considère qu’on peut se passer. On offre, on vend, on jette, et on met dans des cartons ce qui a le plus d’importance à nos yeux. Pendant, on apprend à vivre de rien, ou avec encore moins que rien si on se contentait déjà de presque rien Avant. Et Après, on n’a plus besoin de rien. C’est devenu un casse-tête pour nous cinq de faire une liste d’anniversaire ou notre lettre au Père Noël. On a déjà tellement. Tellement plus que ce dont on a besoin pour profiter de la vie. La société de consommation est restée derrière nous, loin, très loin. (Même si je me suis aperçu qu’occasionnellement, elle pouvait aussi revenir, vite, très vite. Mais la leçon est apprise, c’est juste que les piqures de rappel sont régulièrement nécessaires.)
Et puis enfin, le plus important pour moi, il y a la relation à la Terre, la place que l’on y tient, le rôle que l’on y joue. Humilité et prise de conscience. Peu de mises en pratique dans mon mode de vie actuel, peu d’actes qui traduisent ces pensées, mais une sensibilité à fleur de peau sur ces sujets d’écologie, ou de bionomie, dans son sens premier, brut : ‘cet ensemble, qui contient les êtres vivants, leur milieu de vie et les relations qu'ils entretiennent’. Peu d’actes, mais beaucoup de questions, en permanence.
- Cet article était à l’origine prévu pour répondre à une sollicitation de LaVoyageothèque.com, qui voulait recueillir divers témoignages de 200 à 300 mots max sur les changements amenés au retour d’un long voyage : pour le nombre de mots, c’est complètement raté, désolé… Qu'à cela ne tienne, j'en ai fait une version 'condensée', que l'on peut retrouver en compagnie de 25 autres dans ce très chouette article :
- Tous ces changements évoqués ne sont pas apparus par magie. Ils étaient je pense déjà amorcés dans l’Avant. Présents à l’état latent, en attente de pouvoir émerger, s’exprimer. Le Pendant n’a fait que mélanger les ingrédients de la potion, et lui a permis de se décanter, et d’en faire ressortir ses principes actifs. Un simple catalyseur.
- Cet article a été rédigé au 46ème jour de confinement dû au Covid-19 (cherchez pas la date, j’ai commencé l’isolement un peu avant le début officiel puis mis du temps à publier l’article). Et j’ai bien l’impression qu’en terme de changements, confinement et grand voyage sont finalement très proches l’un de l’autre. Dans les deux cas, il y aura un Avant, un Pendant et un Après. Et la plupart de ces changements évoqués ici pourraient je pense avoir lieu à ces deux occasions. Et dans les deux cas, il y aura du bon et du plus dur à vivre.
Et en guise de conclusion à la conclusion (ouais, j’adore faire ça), je vais évoquer encore une fois la dernière chanson ‘du voyage’ que j’ai écrite, terminée quelques jours après être rentré, ‘Les yeux du Salar’ . Le voyage, c’est de la route et des étapes, faites de rencontres, avec la terre, la faune, les hommes. C’est une quête. Et la vie, c’est un chemin.